Les raisons d'une telle étude :
Les recherches récentes montrent que les problèmes de santé mentale sont actuellement parmi les plus grands défis de santé publique à l'échelle mondiale, car ils affectent 10 à 20% des enfants et des adolescents dans le monde ; c'est un chiffre sans précédent depuis des décennies.
De plus, les filles montreraient une prévalence plus élevée de problèmes de santé par rapport aux garçons.
En effet, une étude de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) de 2016 a montré qu'à 15 ans une adolescente sur 5 souffre d'un état de santé passable ou mauvaise et 50 % souffrent de problèmes de santé multiples plus d'une fois par semaine : des symptômes somatiques (maux de tête, maux d'estomac et fatigue) et des problèmes de santé mentale (nervosité, stress et anxiété).
Il a été démontré que les adolescentes sont plus exposées au stress interpersonnel, ont tendance à être plus sensibles aux réactions des autres sur leurs succès et leurs échecs et s'efforcent de répondre aux besoins et aux attentes des autres plus que les garçons.
Les schémas sexospécifiques des problèmes de santé mentale des adolescentes sont donc pertinents à considérer ; c'est pour cela que des interventions dans ce domaine sont pleinement justifiées, d'où cette étude qualitative d'Anna Duberg, Margareta Möller & Helena Sunvisson (2016) : « “I feel free” : Experiences of a dance intervention for adolescent girls with internalizing problems », parue dans la revue scientifique International Journal of Qualitative Studies on Health and Well-being qui avait pour but d'explorer les différents ressentis lors d'une intervention en danse pour des adolescentes présentant des troubles psychosomatiques.
Le genre, considéré comme une construction sociale et historique créée par l'interaction sociale, est défini comme un processus dynamique de relations sociales, de normes et de structures de pouvoir.
De plus, l'adolescence est un moment important également en ce qui concerne les différences entre les sexes dans les préoccupations liées à l'image corporelle.
L'accent mis sur l'apparence extérieure du corps a des conséquences négatives, car l'objectivation s'est avérée être un prédicteur possible de la dépression chez les jeunes femmes.
Sachant que le « corps vécu » est mis en valeur dans la pratique de la danse, celle-ci a été naturellement suggérée pour renforcer la connexion corporelle, augmenter le bien-être psychologique et améliorer la mauvaise image corporelle et la perception de soi pour les adolescentes.
C'est pour cela qu'il a été recommandé une activité physique comme la danse, ayant des avantages pour la santé des adolescentes et se concentrant sur l'amélioration du plaisir, de l'autonomie, de la confiance et de l'appartenance sociale.
Elle est également liée à une sensibilisation accrue au traitement émotionnel et à une capacité accrue d'interpréter les émotions des autres.
Méthodologie de l'étude :
Au total, 112 filles âgées de 13 à 18 ans ayant des symptômes somatiques tels que : maux de tête, maux d'estomac, fatigue et douleurs aux épaules ; et des problèmes de santé mentale tels que : la nervosité, le stress et l'anxiété, ont été incluses dans cette étude.
Le groupe d'intervention en danse comprenait 59 filles, dont 24 ont été stratégiquement choisies pour être interviewées.
Les interventions en danse se passaient après l'école, 2 fois par semaine durant 8 mois avec l'un des 3 instructeurs spécialement formés en danse.
Chaque cours de danse durait 75 minutes et était composé d'un échauffement (15 minutes), de la pratique de danse principalement chorégraphiée (40 minutes), mais avec un peu d'improvisation pour encourager la créativité, de la relaxation ou massages (15 minutes) et 5 minutes de réflexion.
Les participantes ont eu la possibilité de donner leur avis sur les styles de danse et il n'y a eu aucune représentation en public.L'intention était uniquement d'offrir une opportunité d'avoir une expérience de danse positive sans pression extérieure, de profiter de la musique, de la culture et de la socialisation avec des pairs (environ 20 adolescentes par groupe) et de renforcer leur conscience corporelle.
Résultats obtenus grâce aux différentes interviews analysées :
D'après les adolescentes, il est ressorti que cette intervention de danse leur a donné accès à des ressources personnelles enrichies.
L'atmosphère sans jugement, mais soutenant, le plaisir et la responsabilisation dans la danse ont permis l'acceptation, la confiance dans leurs capacités et leur expression émotionnelle. Dans l'ensemble, cela a conduit à une confiance en soi accrue.
Pour aller plus loin dans la compréhension de cette étude :
Les auteurs ont pu, grâce à l'analyse des différents récits et discours des adolescentes, définir 5 catégories génériques de ressentis des adolescentes :
« L'oasis de stress » : qui est l'objet précis de cette étude
« L'unité de soutien » : qui représente le cadre de l'intervention
« Le plaisir et l'autonomisation » : qui renvoie à l'effet immédiat ressenti
« L'acceptation et la confiance dans sa propre capacité » : qui fait référence au résultat obtenu
« La danse comme expression émotionnelle » : représentant l'outil de cette intervention
Ajouter à cela est apparu une catégorie transversale : « Trouver une confiance en soi qui ouvre de nouvelles portes », qui met l'accent sur la confiance accrue en soi et la capacité à aborder la vie avec un sentiment de liberté et d'ouverture.
Ce que représentent ces 5 catégories pour les adolescentes :
1. « L'oasis de stress » :
Dans l'ensemble, les adolescentes ont défini le stress comme quelque chose avec lequel elles vivaient chaque jour sous la forme d'une pression perçue des normes socioculturelles et d'auto-évaluations critiques.
Elles ont décrit qu'il était parfois difficile de gérer la pression interne et externe et elles se sentaient souvent sensibles à l'influence des médias.
La participation à l'intervention de danse leur a fourni une zone protégée où elle pouvait se détendre, simplement danser et se sentir bien et le mouvement dans la danse créative leur a fait ressentir un nouveau sentiment de liberté.
Cela a été décrit comme une source concrète de réduction du stress.
2. « L'unité de soutien » :
L'importance de « l'unité sociale de soutien » a été jugée cruciale pour la participation régulière.La connexion avec les autres, ayant des problèmes similaires et subissant les mêmes pressions et exigences, a contribué à se sentir à l'aise dans le groupe de danse.
L'intervention en danse leur a donné un aperçu réconfortant du fait qu'elles n'étaient pas seules face à ces problèmes et cela leur a procuré le sentiment d'être inclues et accueillies, ce qui a conduit à leur développement personnel.
En effet, l'unité formée dans le groupe de danse mettait l'accent sur l'acceptation et la bienveillance de façon unique pour un groupe d'adolescentes.
Cette nouvelle acceptation et la capacité de partager l'expérience exempte de compétition avec d'autres personnes similaires ont été décrites comme une source de joie.
La combinaison du soutien social et de la réduction de la concentration sur la concurrence a contribué au sentiment d'être inclus et cet environnement positif a réduit les problèmes de représentation de soi et a augmenté le plaisir ressenti.
3. « Le plaisir et l'autonomisation » :
Un autre aspect qui a été souligné par presque toutes les filles était que la danse suscitait un sentiment de plaisir.
Au cours de la période d'intervention, les pensées négatives de doute de soi ou d'incompétence ont été de plus en plus remplacées par des sentiments d'accomplissement, de plaisir et de contrôle.
Le rythme, la grâce, la force, l'équilibre et la posture dans la danse ont été décrits comme de nouvelles compétences concrètes leur permettant d'avoir davantage confiance en leur corps.
Cela les a aidées à explorer leur corps en tant que ressource positive et étant donné la longue période de l'intervention, ce nouveau lien avec leur corps a eu assez de temps pour se consolider.
Elles ont décrit l'expérience d'autonomisation qui s'est produite pendant et après les sessions de danse comme énergisante, vivante et « puissante », et ont vu la musique comme une dimension supplémentaire qui soulignait l'excitation et le plaisir de la pratique de la danse.
« Si vous vous sentez bien dans votre peau, vous prenez automatiquement plus de place, peut-être pas physiquement, mais vous avez l’attitude » (C.).
En effet, des études ont montré que les schémas de mouvement et la posture pouvaient modifier de manière significative les états mentaux et améliorer le bien-être.
Prendre plus d'espace (expansivité) et garder les membres ouverts (ouverture) est appelé « pose de pouvoir » et il semblerait que les individus se sentent ainsi plus puissants.
4. « L'acceptation et la confiance dans sa propre capacité » :
Trouver l'acceptation est un signe de compassion accrue. Cette acceptation a contribué entre autres à moins de comparaison sociale.
Les jeunes filles se sont dit être plus susceptibles d'éprouver et d'exprimer des sentiments et des pensées positives à leur sujet. Une attitude moins critique et plus bienveillante a émergé. « Ne pas avoir à être parfaite tout le temps » a donné lieu à une augmentation de l'acceptation personnelle.
Elles ont décrit une approche plus humaine car elles ont adopté une attitude plus tolérante envers les imperfections chez elles et chez les autres.
Elles percevaient aussi de manière plus nuancée les échecs dans leur vie quotidienne et cela leur permettait plus souvent d'accepter les revers de la vie comme des événements naturels.
Cette attitude d'acceptation leur a permis de réduire la pression des attentes et l'exigence de performance dont elles souffraient et cela leur a permis d'avoir une vision plus positive de l'avenir.
Cette confiance retrouvée dans leurs propres capacités leur a permis de se sentir capables de franchir de nouvelles étapes dans la vie (commencer de nouvelles activités de loisir, voyager, étudier, participer à des événements sociaux, faire entendre leur voix dans un groupe) ou dans l'intervention de danse (chorégraphies plus difficiles ou créations spontanées).
La confiance en ses propres capacités et l'auto-efficacité, sont considérées comme essentielles, pas seulement lors de la danse mais aussi dans d'autres situations.
Ces processus d'autonomisation ont d'ailleurs été associés de façon significative aux résultats sur la santé, par des comportements d'auto-soins.
5. « La danse comme expression émotionnelle » :
La capacité d'exprimer des émotions à travers des mouvements de danse, au lieu de mots, a facilité l'acceptation et la justification de ces émotions.
Une conscience corporelle et un langage corporel enrichis ont facilité l'expression de sentiments et d'être en harmonie avec les autres.
La capacité d'utiliser les mouvements de danse comme une nouvelle forme d'expression a été ressentie comme une possibilité d'identifier, de reconnaître et de communiquer différents types d'émotions et cela a été décrit à la fois comme réconfortant et fortifiant.
Reconnaître les émotions quotidiennes positives et négatives dans la danse était une façon de donner la parole à différents états mentaux (comme accepter les chutes et se concentrer sur la partie positive et élévatrice du mouvement), d'augmenter le lien physique avec les émotions et d'aider à relever les défis de la vie quotidienne.
« Trouver une confiance en soi qui ouvre de nouvelles portes » :
La catégorie transversale représente une confiance accrue en elles-mêmes et leur capacité à aborder la vie avec un sentiment de liberté et d’ouverture et de percevoir l'ingéniosité en soi.
En effet, la danse peut « surprendre » le cerveau cognitif inconsciemment.
Les stimuli visuels et auditifs chargés émotionnellement évoquent des activités dans le cerveau émotionnel beaucoup plus rapidement que dans le cerveau cognitif. Ainsi, les activités de danse peuvent dépasser la pensée automatisée et créer de nouvelles « voies » qui peuvent déclencher la conscience des participants à différentes émotions et augmenter le bien-être.
La conscience accrue du corps est une occasion d'encourager une confiance en soi et de trouver des moyens de résister et de gérer les symptômes d'anxiété.
La conscience corporelle enrichie, inséparable de l'identité, peut alors être utilisée comme tremplin vers une attitude positive envers elles-mêmes et envers les autres, elles se sentaient donc prêtes à ouvrir de « nouvelles portes » dans leur vie.
Utilité de cette étude pour le personnel de santé scolaire, les enseignants et les soignants :
Cette étude indique clairement la nécessité de développer des interventions d’activité physique peu exigeantes et non compétitives, car les interventions ancrées dans le corps peuvent compléter les soins de santé en milieu scolaire, notamment pour des adolescentes développant des troubles psychosomatiques.
Conclusion :
Avec l'atmosphère sans jugement, l'unicité et le soutien réciproque comme cadre sécurisant, le plaisir et l'autonomisation dans la danse ont donné lieu à l'acceptation, à une confiance accrue dans leurs capacités et à un espace d'expression émotionnelle unique pour ces adolescentes.
Ces éléments pris ensemble ont donc conduit à une confiance en soi accrue et une capacité à aborder la vie avec un sentiment de liberté et d'ouverture.
La danse constitue donc un exemple d'intervention non pharmacologique prometteuse comme traitement complémentaire pouvant offrir des avantages psychologiques aux patients souffrant de diverses conditions.
Ce type d'intervention pourrait également motiver ce groupe-cible à s'engager dans des formes actives et positives de soins personnels, allégeant ainsi la charge de travail des soins de santé et contribuant à des habitudes saines et durables.
Mots-clés :
Adolescence, Confiance en soi, Danse, Psychosomatique, Stress
Retrouvez l'article complet de l'étude sur : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.3402/qhw.v11.31946
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